FLORES Malonne
Premier contact
Il a voulu changer. Il a cru qu’en changeant radicalement, tout, qu’en prenant ses décisions sur des coups de tête, il arriverait à se reconnaître. Même un peu. Juste un peu. Il n’avait pas besoin de faire beaucoup, croyait-il, pour se reprendre en main, pour se récupérer, pour lâcher ce qu’il avait à lâcher.
Juste un peu.
Mais, Malonne… Tu ne fais jamais rien à moitié. Tu es passionné. Vif. Impulsif. Tu as voulu calmer tout ça : ça tourbillonnait trop, dans tes bras, dans ton torse, dans ta gorge et dans ta tête. Tu as voulu apaiser le reflet en colère du miroir, le visage crispé, les sourcils qui se froncent trop vite, les poings qui se serrent à la moindre contrariété, au moindre désaccord, au moindre truc inconfortable. Tu es à fleur de peau tout le temps et le calme que tu montres aujourd’hui, tu sais, tu le sais très bien, c’est jamais rien que le même immobilisme, la même angoisse, le même trop de ce tout que tu as voulu lâcher.
Juste un peu.
Il avait les épaules lourdes - environnement peu sain, mère désarmée, collection de beaux-pères, départs, arrivées, retrouvailles, adieux, allers et retours incessants en centre d’accueil, morceaux de vie abandonnés un peu partout pour conserver la sienne, si possible la tête sur les épaules et les épaules hors de l’eau.
Juste un peu.
Mais, Malonne… Tu fais tout dans l’excès. Tu te perds, tu t’oublies vite. Louer un appartement loin du Sud n’était pas assez. Prendre un travail alimentaire n’était pas assez - il t’a fallu pousser plus loin, plus profond, te raser la tête et, puisque les cheveux repoussent, te la teindre d’une couleur absurde ; te percer l’oreille et, puisque toutes les douleurs passent, agrandir le trou ; te tatouer et, puisque l’adrénaline est excitante, recommencer encore et encore jusqu’à ne plus te reconnaître. Tu ne te manques pas toi-même, alors tu crois que tu ne manques à personne.
Juste un peu.
Il a vingt-sept ans et bloque toujours quand on lui demande ce qu’il compte faire de sa vie. « Pourquoi du bleu pour tes cheveux ? T’as perdu un pari ? » ; « T’as pas de gosses ? » ; « Tu vis seul avec ton chien ? » ; « T’as pas envie de bosser ailleurs ? Mec, on mérite mieux que de retaper des toits toute l’année ! » - il s’agace quand on lui pose trop de questions ; il s’agace vite, ne sait même plus comment il en est arrivé là, où il est, où il habite, comment il s’appelle...
Malonne. Un mètre quatre-vingt-deux de doutes et d’humeurs refoulées, à fond, si bien qu’on le croit simplement réservé.
Juste un peu.
Malonne. Des yeux verts expressifs et francs, qui cachent mal ses sentiments, au fond, si bien qu’on le saisit mal, qu’on le comprend mal.
Juste un peu.
Pourquoi l'esprit te choisirait ?
Par pitié. Il faudrait avoir de la pitié pour lui, connaître son vécu, s’être penché au-dessus de son berceau, avoir entendu ce que l’histoire et les mots ne disent pas, l’avoir observé longtemps pour le choisir.
Ou bien, il suffirait de savoir s’y prendre - de savoir tendre la main, accrocher le poignet froid et nerveux, ne pas craindre que ça lui coupe le souffle de relever les yeux, de considérer le lointain devant.
Malonne aurait pu faire énormément, devenir quelqu’un, communiquer quelque chose à ceux qui lui ressemblent… Il en les capacités mais ne sait les exploiter qu’après coup - lorsqu’il est trop tard, lorsqu’il est déjà parti trop loin, lorsque tout est déjà gâché, on dirait qu’il attend, qu’il a besoin que ce soit le dernier moment pour que sa force de persuasion et son courage ne se réveillent. On dirait que sa résilience n’a pas de limite ; on dirait, au fond, que c’est un bon gars tombé entre de mauvaises mains. Il s’en est sorti, pourtant. Pourtant, il s’en est sorti, seul, pour continuer, seul. S’il ne sait pas parler de ses aspirations, il a des convictions, des valeurs, des interdits moraux qui lui collent aux tripes fermement - il les sent tiraillés de tous les côtés, avec rien et nulle part où les poser sans se sentir con, vain et raté. Il peint, parfois. Il peint, sans trop bien savoir pour quoi, pour qui ni à quelle fin. L’envie lui prend la main, souvent au matin, lorsqu’il fait encore nuit, trempe le pinceau, recouvre des toiles déjà utilisées et lui fait gribouiller le maelström de ses rêves.
Ton histoire
« Oh non ! T’as ramené ton chien ! »
À chaque fois qu’elle parle de son chien, Malonne a l’impression que c’est en fait de lui dont il est question. Il ne s’entend pas parfaitement avec sa mère - ils ne s’apprécient qu’à distance et que dans le temps, bien qu’ils s’obligent, l’un et l’autre, ensemble, à garder contact.
Voir sa mère est toujours un problème. Elle ne sait pas vivre - il ne sait pas comment le dire autrement : même dans ses meilleurs états, Virginie lui rappelle incessamment ce qu’il doit éviter de devenir, ce qu’il fuit et pourquoi il fait bien de le faire.
« Fous-le dehors ! Il pue ! »
Il sent le chien, qu’il pense. Son chien sent le chien, comme tous les chiens. Il a une odeur bien plus agréable que celle de cet appartement complètement laissé à l’abandon. Virginie entasse, collectionne et délaisse. Elle a toujours fait ça - même avec ses copains, même avec ses enfants. Ouvrir la porte du balcon est compliqué - c’est lui qui voudrait sortir, être foutu dehors une bonne fois pour toute, se perdre dans le quartier pourri de son enfance, sans plus être un enfant, sans plus être en fugue.
Il a tellement fugué, jeune, tellement qu’à la fin, la seule solution pour un mineur comme lui, c’était de le mettre derrière des murs trop hauts, dans une case très rigide, dans un foyer où l’affection se reçoit dans une assiette à heure fixe, obligatoirement, ou jamais.
« Tu fais quoi dans le Nord alors ?
– Je suis peintre en bâtiment.
– Ah… t’as arrêté tes études.
– … Ouais.
– T’as une tête, on dirait un zombie. Ça paie pas bien, hein ? T’es où déjà ?
– Totarnec.
– C’est joli ? »
Je m’en fous que ça soit joli, qu’il pense, en dévisageant l’accumulation de boîtes à chaussures sur la table basse. Je m’en fous totalement. Je veux juste que ça soit pas ici. Il se malaxe les mains nerveusement - il a la peau rêche et sèche, ça fait du bruit quand ses paumes frottent.
« Je peins toujours, si tu veux savoir.
– Ouais, des maisons.
– Non, pas que. Il a le coin des yeux qui se plisse d’irritation en répondant. J’essaie de faire des trucs un peu plus… développés.
– D’où tes cheveux peut-être. »
Ça va s’arrêter là entre eux, qu’il se dit. Elle lui sort par les yeux - c’est son regard, son regard à elle, à la fois si fier et si niais, insolent comme pas possible, inconscient de ce sur quoi il se pose.
Malonne a fait plein de conneries dans sa vie. Il n’en a pris conscience qu’en sortant de détention, qu’en se confrontant à des regards comme celui-là. Aujourd'hui, il est différent - il croit, il pense, il veut, quoi qu’en dise son casier judiciaire. Finies, la décadence, la déchéance, la perdition. Finies, les balades et les bagarres nocturnes, les squats et les délires de groupe douteux. Finies, la culpabilité, la haine et les tentatives dérisoires. Aujourd'hui, c’est fini.
« Ouais, j’ai perdu un pari.
– Tu devrais arrêter de traîner avec des cons si tu veux te trouver une copine.
– T’inquiète pas maman.
– Je m’inquiète pas, t’es adulte. Tu sais ce qui t’attend au tournant. »
Ouais, qu’il pense. Des insomnies à n’en plus finir.
Ton personnage est-il originaire de Totarnec?
Et toi alors?
L’envie de reprendre l’écriture, de rencontrer de nouveaux partenaires, d’essayer de nouvelles choses. J’accepte complètement le deal d’un mois pour me fondre dans votre belle communauté qui a l’air toute agréable