La vipère glissait sur le sol du théâtre. Elle était déjà à la moitié de la salle, dans l'allée centrale. Toutes les lumières de la salle étaient éteintes, et Adrìas était ébloui par celle de la scène, mais il sentait qu'elle était là. Il jouait du violon, un air strident, presque faux. Il ne serait pas dans un rêve, il se serait demandé si son violon n'était pas cassé. Sa mélodie était décousue, morte. Mais elle semblait s'harmoniser au cours du temps, un peu plus à chaque seconde. Lorsque la bête vint traîner sa peau sur le parquet brillant de la scène, la musique était déjà plus potable. Adrìas voulait s'arrêter de jouer pour regarder le serpent. Il était clair, d'un vert pâle, et ses écailles étaient un peu dressées sur son dos, comme des épines. Elles n'étaient pas lisse, et elle n'était pas lisse. Les écailles d'une vipère velue. Ses yeux sombres, à contrario, ne laissaient pas voir ce qu'elle pensait ni ce qu'elle regardait. Mais l'on pouvait se douter à son chemin, qu'elle allait s'approcher du musicien, qui lui lutait contre son instrument. Il se sentait prisonnier de sa mélodie, et il voulait fuir plus que de raison la bête qui se tenait maintenant à ses pieds. Elle grimpa sur sa jambe gauche, et comme à chaque fois, Adrìas vit le volume d'air qu'il parvenait à inspirer diminuer drastiquement. Pourtant sa mélodie, elle, n'avait jamais été aussi belle. Il ne pouvait s'arrêter de jouer, et ne s'arrêta donc pas. Le souffle lui manquait mais ses mains expertes trouvaient d'elles-même le chemin vers l'apothéose. Peu de temps après, le serpent enserrait fermement ses côtes, et bientôt sa nuque, et la mélodie s'arrêta avec la note la plus haute de sa gamme. |
Adrìas rejoint sa salle de bain, tremblant et en sueur, il avait froid et chaud. Il se demandait encore quelle force à l'intérieure de lui lui permettait de ne pas rendre ses tripes. Il ouvrit les yeux très lentement face au miroir et les referma très vite. Jaunes, ses iris étaient jaunes. Pâles en plus, pas foncés. Et il était blanc comme un fantôme. Heureusement qu'il ne maigrissait pas. Il avait pensé à aller voir un médecin mais n'avait pas trouvé le courage. "Docteur, sauvez-moi, mes iris sont jaunes." Très peu pour lui. Il prit une douche et en sortant, considéra ses lentilles mauves. Puis se regarda à nouveau dans le miroir. Si avant il utilisait ses lentilles par envie, maintenant c'était plus par contrainte. Ne manquerait plus qu'on le prenne pour un monstre. Il préférait qu'on le prenne pour un fou, un punk, ou autre. Il s'habilla mais ne sortit pas. La boutique resterait fermée aujourd'hui, comme tous les dimanches.
Il était six heures du matin. Mais Adrìas ne s'en était pas rendu compte. Il faisait nuit jusque dans la matinée à cette saison, et il ne faisait pas la différence. Il observa le silence de la rue, la fenêtre ouverte, pensant qu'il s'agissait juste d'un dimanche matin. Pas d'un dimanche matin très tôt. Sans réfléchir, il attrapa son téléphone, et composait le numéro qu'il avait apprit par cœur à force de le taper, puis à force de l'effacer. Il avait longtemps hésité à appeler en fait. Mais Keishi répondit. Alors Adrìas, parce qu'il avait besoin de distraction, demanda "Toujours partant pour un café ?"