Une lune... Déjà une lune, que je suis ici.
Je contemple mon visage légèrement déformé par la saleté du miroir cassé de la vieille salle de bain. Je me trouve un peu l'air fatigué. Ma main se porte presque mécaniquement sur le côté de mon crane. L'hématome de la chute est encore présent mais tend à disparaitre. La douleur est également moins forte. Les comprimés du médecin font leur office.
Cela semble étrange la façon dont les événements se sont enchainés. Le douloureux réveil après la chute, l'errance ensanglantée à travers le bois jusqu'aux abords des rues du village, les premiers secours apportés par les habitants, la prévenance paternaliste du médecin, les questions étranges des gendarmes, et puis cette vieille veuve, Mme Kergoven, qui lui a offert quelques vêtements, et quelques provisions en lui proposant de s'installer dans une vieille maisonnette à l’abandon... "en attendant de trouver mieux" avait-elle précisé, l'air un peu malicieuse.
Un coup de chiffon sur la glace permet de l'éclaircir un peu, et j'entreprends ensuite de raser le chaume naissant sur mon menton et mes joues, à l'aide d'un rasoir à main. L'eau à peine chaude rend l'exercice un peu difficile, et deux petites coupures viennent faire perler un peu de sang. J’essuie mon visage avec la serviette, et je me regarde à nouveau. Mes yeux scrutent mon reflet comme pour aller au-delà du miroir.
Pourquoi, suis-je arriver ici ? Quelles sont les intentions des dieux à mon égard ? Cela doit avoir un sens, une raison. Je dois essayer de me souvenir. En vain, je n’ai que des bribes, quelques images… Le roi Cunorix sur sa monture, le dernier banquet de Samonios, la tempête près de la côte, la frénésie de la chasse dans le bois… La seule clarté qui demeure quelque peu, est un rêve très insolite. Un rêve où des esprits me parlent, m’éprouvent… Néanmoins, rien de tout cela ne m’éclaire, je suis comme perdu, et les signes annonciateurs d’un mal de tête me font finalement renoncer.
Cet endroit est étrange. Il y a des tas de choses que je ne comprends pas. Au début, je fus assez effrayé de découvrir ce nouveau monde. Des matériaux et des objets nouveaux à foison. Je ne saurais dire à quoi certains peuvent servir. De puissantes magies semblent à l’œuvre au village. Il y a de la lumière sans feu, et aucun animal ne tire leurs chars. D’ailleurs, la proximité des animaux semble rare. Et surtout le bruit. Un véritable tintamarre qui semble permanent, comme si les habitants craignaient ou redoutaient de se confronter au silence ou au seul bruit de la nature. Existe-t-il cependant un meilleur moyen pour se confronter à soi-même ? Et puis, la vitesse aussi. La plupart semble toujours pressé, toujours occupé.
Pourtant, je ne suis pas aussi terrifié que je devrais l’être. La folie aurait dû me prendre devant une telle situation. Bien-sûr, eux pensent que je le suis, même si certains semblent me regarder étrangement avec peut-être même une certaine complicité, quand d’autres se moquent à mon passage, et certains m’ont même déjà joué des tours profitant de mon ignorance de ce lieu… Néanmoins, cela n’a jamais été bien loin, et curieusement, je ne me sens pas toujours aussi étranger que je le devrais.
Il y a quelques jours, j’ai compris qu’il me faudrait gagner ma pitance. Je ne peux continuer de dépendre de la générosité de la vieille Kergoven, ma dette vis-à-vis d’elle va devenir trop grande, et je ne pourrais l’honorer comme il convient. Je suis allé la trouver pour lui proposer mes services afin de chanter ces louanges et faire briller son renom, mais cela a semblé la laisser indifférente. Elle me confierait bien quelques tâches de ferme à l’occasion, mais cela ne saurait suffire.
Hier, j’ai donc chanté dans la rue. Dans un lieu un peu retiré, où le bruit semblait diffus. Bien qu’encore un peu faible, ma voix s’est élevée haute et claire, et j’ai pu sans peine offrir un air de sourire et de joie aux passants. Certains m’ignorèrent, et j’en fus un peu désappointé, avant de me rappeler qu’ici, je ne suis plus le barde d’un prince, mais un simple vagabond. Toutefois, une petite foule finit par s’attrouper alentours, et certains des auditeurs déposèrent des pièces à mes pieds, comme une offrande à mon art. C’est ainsi que j’ai compris comment mériter ma nourriture et mon logis.
Cet après-midi, je retournerai chanter.
Je contemple mon visage légèrement déformé par la saleté du miroir cassé de la vieille salle de bain. Je me trouve un peu l'air fatigué. Ma main se porte presque mécaniquement sur le côté de mon crane. L'hématome de la chute est encore présent mais tend à disparaitre. La douleur est également moins forte. Les comprimés du médecin font leur office.
Cela semble étrange la façon dont les événements se sont enchainés. Le douloureux réveil après la chute, l'errance ensanglantée à travers le bois jusqu'aux abords des rues du village, les premiers secours apportés par les habitants, la prévenance paternaliste du médecin, les questions étranges des gendarmes, et puis cette vieille veuve, Mme Kergoven, qui lui a offert quelques vêtements, et quelques provisions en lui proposant de s'installer dans une vieille maisonnette à l’abandon... "en attendant de trouver mieux" avait-elle précisé, l'air un peu malicieuse.
Un coup de chiffon sur la glace permet de l'éclaircir un peu, et j'entreprends ensuite de raser le chaume naissant sur mon menton et mes joues, à l'aide d'un rasoir à main. L'eau à peine chaude rend l'exercice un peu difficile, et deux petites coupures viennent faire perler un peu de sang. J’essuie mon visage avec la serviette, et je me regarde à nouveau. Mes yeux scrutent mon reflet comme pour aller au-delà du miroir.
Pourquoi, suis-je arriver ici ? Quelles sont les intentions des dieux à mon égard ? Cela doit avoir un sens, une raison. Je dois essayer de me souvenir. En vain, je n’ai que des bribes, quelques images… Le roi Cunorix sur sa monture, le dernier banquet de Samonios, la tempête près de la côte, la frénésie de la chasse dans le bois… La seule clarté qui demeure quelque peu, est un rêve très insolite. Un rêve où des esprits me parlent, m’éprouvent… Néanmoins, rien de tout cela ne m’éclaire, je suis comme perdu, et les signes annonciateurs d’un mal de tête me font finalement renoncer.
Cet endroit est étrange. Il y a des tas de choses que je ne comprends pas. Au début, je fus assez effrayé de découvrir ce nouveau monde. Des matériaux et des objets nouveaux à foison. Je ne saurais dire à quoi certains peuvent servir. De puissantes magies semblent à l’œuvre au village. Il y a de la lumière sans feu, et aucun animal ne tire leurs chars. D’ailleurs, la proximité des animaux semble rare. Et surtout le bruit. Un véritable tintamarre qui semble permanent, comme si les habitants craignaient ou redoutaient de se confronter au silence ou au seul bruit de la nature. Existe-t-il cependant un meilleur moyen pour se confronter à soi-même ? Et puis, la vitesse aussi. La plupart semble toujours pressé, toujours occupé.
Pourtant, je ne suis pas aussi terrifié que je devrais l’être. La folie aurait dû me prendre devant une telle situation. Bien-sûr, eux pensent que je le suis, même si certains semblent me regarder étrangement avec peut-être même une certaine complicité, quand d’autres se moquent à mon passage, et certains m’ont même déjà joué des tours profitant de mon ignorance de ce lieu… Néanmoins, cela n’a jamais été bien loin, et curieusement, je ne me sens pas toujours aussi étranger que je le devrais.
Il y a quelques jours, j’ai compris qu’il me faudrait gagner ma pitance. Je ne peux continuer de dépendre de la générosité de la vieille Kergoven, ma dette vis-à-vis d’elle va devenir trop grande, et je ne pourrais l’honorer comme il convient. Je suis allé la trouver pour lui proposer mes services afin de chanter ces louanges et faire briller son renom, mais cela a semblé la laisser indifférente. Elle me confierait bien quelques tâches de ferme à l’occasion, mais cela ne saurait suffire.
Hier, j’ai donc chanté dans la rue. Dans un lieu un peu retiré, où le bruit semblait diffus. Bien qu’encore un peu faible, ma voix s’est élevée haute et claire, et j’ai pu sans peine offrir un air de sourire et de joie aux passants. Certains m’ignorèrent, et j’en fus un peu désappointé, avant de me rappeler qu’ici, je ne suis plus le barde d’un prince, mais un simple vagabond. Toutefois, une petite foule finit par s’attrouper alentours, et certains des auditeurs déposèrent des pièces à mes pieds, comme une offrande à mon art. C’est ainsi que j’ai compris comment mériter ma nourriture et mon logis.
Cet après-midi, je retournerai chanter.