Suis je en train de devenir folle

Assise dans le sable de la plage, enroulée dans une couverture du fait de la fraicheur de la nuit, je regardais la flaque d’huile que représentait la mer. Même les étoiles ne se reflétaient pas dedans. Pourtant j’aurais bien eu besoin de leurs lumières pour m’éclaircir les idées. En effet, je venais de faire un rêve qui me paraissait bizarre, inhabituel. Alors que je rêvais que je montais un escalier, celui de la maison qui menait à ma chambre, je m’étais senti basculer en avant, fermant au passage les yeux dans la crainte de l’impact. Mais l’impact ne vins jamais, et quand je rouvris les yeux, je me retrouvais dans un jardin, le visage au ras du sol car je ne voyais rien sinon que de l’herbe. Cherchant à me redresser, j’abandonnais assez rapidement l’idée en entendant des vibrations dans le sol, vibrations que je poursuivis malgré moi, mû par un instinct inconnu. Et c’est à ce moment-là que je m’étais réveillé dans mon lit, ne comprenant pas ce qui venait de se passer. Pourquoi j’étais passé d’une chute dans les escaliers à ça. Je n’y comprenais rien.

Après avoir regardé mon réveil qui indiquait une heure du matin, j’avais ressenti le besoin de me rafraichir les idées à l’endroit où je me sentais le mieux, sur la plage. Embarquant une couverture, j’étais sortis silencieusement de la maison et j’avais traversé la zone piétonne à toute vitesse pour arriver sur le sable chaud et m’installer. Et c’était là que j’étais à l’heure actuelle, réfléchissant à ce qui venait de se passer, cherchant des solutions que je ne trouvais pas.

Tout à ma réflexion, je ne vis pas les premières ondulations sur l’eau, mais je perçus un mouvement quand la nymphe sortit de l’eau. Car cela ne pouvait être qu’une nymphe, aucun humain ne pouvait vivre sous l’eau. Après je pensais qu’elle n’était que dans les cours d’eau douce et pas dans la mer, mais je pouvais me tromper. Et puis on était en Bretagne, terre fertile d’un folklore fantastique. C’est pour cela que je n’étais pas étonné du tout de son apparition. Pour moi, je n’avais que la preuve que les nymphes de mes histoires existaient.
Mais passons, la femme s’approchait de la berge et je me relevais pour l’observer, encore enroulé dans ma couverture, enviant un peu son manteau qui m’avais l’air chaud. Dès qu’elle posa le pied sur le sable, je m’écartais légèrement pour lui laisser de la place si elle souhaitait venir un peu plus au sec et me contentais d’hocher la tête à sa question.

"En effet madame la nymphe. Je suis bien Luna. En quoi puis je vous aider ?"

Je penchais la tête sur le côté pour la regarder. Elle me semblait bien humaine pour une nymphe, mais pourquoi elle sortirait de l’eau si elle était aussi humaine que moi. Cependant, ce n’était pas le moment de la questionner, elle n’était sûrement pas là par hasard et je ne voulais pas lui faire perdre son temps.

Le côté pratique de la mission c'était qu'elle avait beaucoup d'informations. Elle savait. Ce n'était pas un savoir cérébral mais plutôt un savoir instinctif. Un peu comme les lunettes modernes qui affichent des informations en temps réel dans les films de science fiction. Quelque chose qu'on sent, plus qu'on sait, un ordre de mission qui prend possession de l'intégralité de notre corps. Quelque chose de doux et fort à la fois. Quelque chose qui nous dépasse et qui nous fait traverser des océans à la tombée de la nuit. Elle n'avait pas eu à aller bien loin, le chemin du retour serait rapide. Mais l'animal qui émanait de son aura n'était pas une de celles qu'elle appréciait le plus. Froid. Un serpent. Mais Mélusine prenait très bien sur elle, et traitait tous les petits nouveaux avec la même bienveillance.


Nymphe? Elle haussa un sourcil et rit très brièvement. Comme la vague qui se briserait en gouttes d'écume après s'être frottée de trop près aux rochers. La créature dans la couverture n'avait pas l'air effrayée, c'était un bon point, peut être que ses rêves étaient déjà assez puissants pour préparer son départ? Elle devait être prête. Le timing était parfait.

"Je suis la pour t'amener là ou ton destin t'appelle. Es-tu prête à partir?"

Les explications attendraient Totarnec. Pour le moment elle devait surtout la ramener sans risquer d'être découverte.

Je rougis de gêne en l’entendant rire après avoir arqué un sourcil. Bon ba ce n’était pas une nymphe. Mais elle prenait assez bien mon erreur donc c’était tout aussi bien. Et son rire était merveilleux, comme le bruit de l’écume se cassant sur la grève, son que j’appréciais particulièrement.
Je fronçais cependant les sourcils devant ses paroles. Mon destin ? A la base j’étais venue ici que pour m’éclaircir les idées. Et elle, elle apparaissait. Coïncidence ? J’y croyais peu. Et puis elle m’inspirait confiance tout de même. Après partir tout de suite, pas du tout prête, rien que ma tenue déjà.
L’observant, je pris la parole.

- Si vous êtes là alors que j’ai fait un rêve bizarre, ce ne doit pas être une coïncidence. Donnez-moi…trente minutes et je vous suivrais où vous le souhaiterez. Attendez-moi ici, je reviens, je vous en donne ma parole.

Lui souriant, je m’enfuis comme une dératée en direction de la maison où je me précipitais dans ma chambre pour m’habiller, prendre ma besace contenant mon nécessaire d’écriture et mon livre. J’y rajoutais également une bouteille pleine du sable de la plage. Cela ne m’avait pris que cinq minutes. J’aurais pu lui donner ce délai, mais il me fallait prévenir grand-mère, et cela ne serait pas simple. Entrant dans sa chambre, je la réveillais et lui annonçais mon départ. Bien sûr elle protesta mais me fis promettre de revenir, promesse que je lui fis. Seulement à ce moment-là elle me laissa partir. Je ne savais pas si je pourrais revenir, mais je lui avais promis pour l’apaiser. Cela fait, j’étais prête et revins à toute vitesse sur la plage après avoir pris une veste s’il faisait froid durant notre voyage. Il s’était écoulé vingt minutes depuis mon départ.

- C’est bon, je suis prête à partir.

Lui souriant, je l’observais, attendant la suite.

Le temps n'avait plus de réelle emprise sur elle depuis quelques années maintenant. A croire que les esprits voulaient garder leurs meilleurs éléments le plus longtemps possible. En même temps le service était conséquent et tous devaient mettre leur vie entre parenthèses pendant une durée non déterminée. C'était un CDI sans salaire fixe, rien de très confortable si on tient à sa vie plan plan d'avant les formations. Elle ne se plaignait pas, elle pouvait vivre aussi confortablement qu'elle en avait besoin et elle pouvait voyager assez facilement du fait de son grand pouvoir. Elle ne paniquait pas, et au contraire elle semblait plus prête que jamais. Mélusine hocha la tête.

"Prends ton temps, j'ai tout le mien."

C'était agréable quand tout se passait comme ça. Il y avait eu des ratés mais dans l'ensemble ça restait plutôt agréable. Et surtout si c'était difficile elle avait la solution ultime. Mais elle n'aimait pas s'en servir trop souvent, surtout pas contre leur gré. Posée sur le sable, les pieds dans l'eau et les yeux dans les étoiles, elle attendit son retour. Ca ne fut pas si long que ça, elle avait tellement à penser. Une fois Luna de retour, Mélusine se redressa et lui fit face.

"Tu ne sentiras rien."

Un dernier sourire pour la route, Mélusine approcha son index du front de Luna qui s'endormit. La sensation qu'elle éprouva durant cet état n'appartenait qu'à elle. Mais lorsqu'elle ouvrit les yeux de nouveau, elle était allongée dans un lit confortable mais très sobre dans une chambre confortable sans être luxueuse. Les couleurs dominantes étaient le bleu et le vert et on pouvait entendre du bruit dans la pièce d'à côté. Des bruits de cuisine.

Je la laissais s'approcher de moi mais me retint à grande peine de m'écarter. Nous ne nous connaissions pas assez pour qu'elle me touche. Cependant je la laissa faire et plongea d'un coup dans l'inconscience. Durant toute ce trou noir, et bien il fis noir et je ne perçus pas la différence. C'était comme s'il ne s'était pas passer un certain temps entre ma perte de conscience, et mon réveil.

Le réveil fut assez lent, reprenant doucement conscience de tout, et surtout du silence. Un vrai silence. Il y avait bien le bruit de la cuisine qui provenait de la pièce d'à côté mais pas le bruit qui m'endormait et me réveillais, celui de la mer. Et puis je n'était plus sur le sable, mais dans un lit qui m'était inconnu. Où est ce que j'était ! Je n'y comprenais plus rien et j'avais peur. La seconde d'avant j'était sur la plage avec la jeune femme et là je me retrouvais seule, dans une chambre inconnu sans le bruit de la mer.

Me levant d'un bond, je me précipitais à la fenêtre et ce que j'y vis ne me plus pas, je ne voyais pas l'étendue bleue. Ouvrant à la volée la porte sans me préoccuper d'être discrète ou autre, je me précipitais vers la première fenêtre, une autre, encore une autre, mais jamais je ne vit ou entendit le bruit des vagues. Et moi qui avait grandis en l'ayant en permanence, cela me faisait un choc.

Je me laissais tomber sur le sol en boule et commença à pleurer, ne comprenant rien, me sentant perdue, nue sans le bruit du ressac. J'avais l'impression de retourner à l'état de nourrisson. J'eu juste la force de murmurer une phrase.

"Pourquoi la mer n'est plus là, pourquoi je ne l'entend pas, je veut la mer"

La routine. Oui, même quand on fait ce genre de choses on peut souffrir de la routine. Le soucis principal est que plus on en a, plus on en a besoin. Vivre des choses extraordinaires éloigne de la beauté de la vie tranquile. Elle le savait et c'est pour ça qu'elle était restée le plus possible en dehors de cette culture contemporaine. Elle essayait de voir les choses d'une autre manière, de les faire d'une autre manière. Mais il y avait des choes contre lesquelles elle ne pouvait pas lutter. Les nouvelles règles entre autres.

Et c'est parce qu'elle se sentait toujours un peu coupable de trahison quand elle ramenait quelqu'un qu'elle préparait toujours un petit repas et un petit chocolat. ELle avait toujours de quoi en préparer dans son sac, elle gardait les choses au frais dans de l'eau "domestiquée" et elle se débrouillait très bien avec tout ça. Selon les heures de réveil c'était soit un repas du midi soit un petit déjeuner. Dans ce cas c'était un petit déjeuner. Et elle s'appliquait particulièrement. Une vraie maman.

Ce à quoi elle ne s'attendait pas, par contre c'était ce cri. Généralement les éveillés transportés étaient enveloppés dans une sorte de bulle apaisante où l'odeur dominante était leur préférée et dans laquelle ils n'avaient ni chaud ni froid. Mais ça n'avait pas du être vraiment le cas vu l'état de la demoiselle une fois qu'elle fut arrivée jusqu'à la fenêtre de la cuisine. Mélusine la regarda courir dans tous les sens sans intervenir, jusqu'à ce qu'elle finisse par se rouler en boule sur le sol.

Elle s'approcha de la demoiselle sans faire de bruit et posa une main amicale sur son épaule. Ce n'était pas pareil pour tout le monde et il y avait certaines réactions plus épidermiques que d'autres. Elle comprenait. Elle comprenait même très bien. C'est pour ça, entre autres, qu'elle avait été choisie.

"Calme toi. La mer n'est pas loin, quand tu te seras calmée tu l'entendras, elle est de l'autre côté de l'immeuble."

Elle profita du contact sur l'épaule pour se servir de son pouvoir secondaire d'apaisement, un très fin filet d'énergie circula de la paume de Mélusine jusqu'à l'épaule de la demoiselle, comme une injection de morphine mais en infiniment plus doux et en absolument pas nocif.

"Si tu veux on peut aller sur la plage pour que je t'explique ce que tu dois savoir? Tu seras peut être plus à l'aise?"

Après tout, ou qu'on soit ici, la mer n'était jamais bien loin.

Je sursautais en sentant sa main se poser sur mon épaule mais ne la repoussais pas, écoutant ce que la jeune femme avait à me dire. Et ses mots me rassurèrent. Ainsi je n'était pas loin de la mer. Et en effet, quand mes larmes se furent taries, je tendis l'oreille et entendit un bruit de va et viens que je reconnus, la marée. Nous étions au bord de l'eau, on ne pouvais juste pas voir la plage depuis les fenêtres que nous avions.
Essuyant mes yeux, je me contentais d'hocher la tête à sa question, plus calme qu'il y avait quelques minutes et me relevais. Poussant un gros soupir pour retrouver mes esprits, je piétinais le temps qu'elle soit prête avant de sortir de l'appartement et marcher aussi lentement que possible en direction du son que j'aimais. Durant notre parcours, je me dis que je lui devais des excuses et des explications.

"Excusez moi pour tout à l'heure. C'est que depuis toujours, je me suis toujours endormie et réveillée avec la mer à mes côtés. Alors de ne pas l'entendre, j'ai cru être éloigné d'elle, qu'il me manquait quelque chose. Je sais que c'est puéril, mais c'est ainsi."

Mes explications s'arrêtèrent là, et elles n'auraient pas pu continuer car je venais d'apercevoir des vagues, signe que nous arrivions à destination. C'est pourquoi je m'étais mise à courir de toute mes forces pour retrouver le sable chaud comme en plein mois de juin, et y poser mes fesses, face à l'océan. J'étais enfin complète. Me tournant vers la jeune femme, je lui fis mon plus grand sourire et lui donna mon "merci" le plus sincère. Maintenant que je me retrouvais dans ma zone de confort, j'étais prête à l'écouter.

Si on lui posait la question, Mélusine répondrait sans hésiter que la douceur était la véritable réponse à tous les maux. Tous. Les petits bobos, les gros, la méchanceté, la peur, la douleur, la solitude. Tout. Un sourire peut tout guérir, aussi bien qu'une main sur l'épaule. Elle refusait de penser les choses d'une autre manière, ce qui pouvait la rendre un peu désagréable parfois vu qu'elle préférait ignorer que certaines personnes n'étaient pas tactiles. Tant pis pour eux, c'était pour leur bien, pour le greater good comme ils disent.

Elle avait hoché la tête, Mélusine était donc allée couper le gaz et mettre ce qui devait se conserver au frais dans le frigo. C'était l'affaire de quelques minutes. Elle utilisait l'eau pour nettoyer les choses sans avoir besoin de lave vaisselle, pratique. Elle suivit le ryhtme de l'éveillée, prête à réagir au cas où elle aurait un vertige ou quoi que ce soit qui serait lié au voyage. C'était rare, mais ça pouvait toujours arriver. Pour le moment tout allait bien. Elle était ravie. Elle s'excusa même, Mélusine lui sourit plus encore. Elle allait répondre mais l'appel de la mer fut plus fort qu'elle.   Les explications attendraient un peu.

Ce n'est qu'une fois assise dans le sable que Luna retrouva son sourire, ce qui réjouit Mélusine au plus haut point. Elle la rejoignit, ne quittant pas l'océan du regard. Toujours debout, elle entreprit sa petite explication, elle était rodée depuis le temps. Elle inspira profondément.

"Je ne peux que comprendre ton amour de la mer."

Elle même avait été saumon, elle n'avait jamais quitté la belle étendue bleue qui s'étendait à perte de vue devant leurs yeux.

"Et elle me le rend bien, regarde."

Elle lui adressa un bref clin d'oeil et leva un bras. Un filet d'eau se détâcha de la masse aqueuse et dansa au rythme des mouvements de son bras droit. Elle baissa le bras et la forme retrouva son état premier.