Thalattée parcourait la rue à petits pas rapides. Elle savait précisément où se rendre et avait établi l'itinéraire idéal. Elle suivait donc son plan scrupuleusement annoté, maintenu par les élastiques de son carnet à spirales contre la couverture cartonnée.
Le plan de Thalattée aurait semblé à quiconque bien trop couvert de griffonnages – il était toujours lisible, très lisible, car l'écriture de Thalattée était nette et droite. Mais il y avait beaucoup trop d'indications dessus, même de très évidentes.
Thalattée avait un plan pour chacun de ses déplacements. Et rien n'y était écrit au hasard : Thalattée palliait toute éventualité d'oubli de sa part.
Elle se concentrait autant qu'elle le pouvait sur son objectif.
Odessa avait été très claire :
-Ne pense à rien d'autre tant que tu n'auras pas déposé et signé ces papiers avec l'orphelinat ! On ne veut pas d'enlèvement ou de disparition sur le dos ! Et surtout, surtout, par les flammes, n'enlève pas tes chaussures !
Thalattée n'était pas à l'aise dans les chaussures en plastique orange vif qu'Odessa lui avait mis de force. Seulement, elle avait bravé son aversion naturelle pour l'eau pour aller les lui mettre alors qu'elle nageait. Et elle avait tellement insisté pour qu'elle les garde que Thalattée ne les enlèverait à aucun prix.
Odessa était une amie. Elle devait avoir une excellente raison que sa condition particulière ne lui avait pas permis de se souvenir. Et Thalattée avait confiance en elle pour lui rappeler ce qu'elle oubliait. Elle avait donc écrit partout, scrupuleusement, sur son carnet, son plan, et même ses bras, l'adresse de l'orphelinat, sa mission, et cet ordre de ne pas retirer ses chaussures.
Vêtue d'une simple tunique de coton et d'un pantalon de toile crème, ses cornes torsadées dissimulées sous un large chapeau de paille qui laissait tomber sa natte blanche dans son dos, elle avançait dans une rue de la ville, pressée d'accomplir sa mission et de quitter ce lieu oppressant tout de bitume et de béton.
Il était impératif que Thalattée se présente aussi normalement que possible (bien que chaussée de sandales en plastique orange, mais bon, elle avait l'habitude d'aller pieds nus ou en espadrilles qu'elle quittait sans y penser au poindre cours d'eau, alors cela valait sans doute mieux) pour régler cette histoire de papiers. Et après, ce serait à Janus de prendre le relais, puisque c'était à lui que le Serpent s'était adressé. Mais Thalattée savait ce que peut-être le Serpent ignorait – il était trop grand pour se soucier des tracas administratifs humains : il était impossible de confier à Janus une tâche impliquant de faire signer un papier.
L'orphelinat était un bâtiment austère et fonctionnel dans lequel Thalattée pénétra sans même le regarder. Elle avait pris rendez-vous avec un responsable et s'était arrangée pour régler tous les détails de façon à n'avoir à venir en personne qu'une seule fois. Obtenir les nombreuses justifications et papiers administratifs n'avait pas été une partie de plaisir, surtout pour elle qui vivait en marge de la société, mis avec l'aide des autres formateurs et des Esprits tout c'était bien passé jusque là. Elle et Janus seraient donc bientôt officiellement, aux yeux de la loi, les parents d'une petite fille.
Bien entendu, elle serait surtout la fille de la Terre et de la Nature, dans la grande famille des Eveillés choisis par les Esprits, Janus sera son formateur, et elle ne vivrait sans doutes pas avec eux. Thalattée ne se considérait pas comme une figure maternelle, mais elle se sentait tout de même responsable d'elle et elle voulait que tout se passe pour le mieux.
Un jeune homme qui se présenta comme Max, avec un regard gentil, l'accompagna dans le bureau d'une responsable à l'allure revêche et sévère. Thalattée fit de son mieux pour paraître être la mère adoptive idéale, responsable, active et parfaitement organisée. La partie administrative se déroula sans problèmes – Thalattée avait tout prévu. Elle avait même prévu qu'il y a des problèmes qu'elle n'avait pas prévus et s'était préparée en conséquence. Mais tout se passa parfaitement bien. Presque trop bien pour une opération administrative en réalité.
-Bien, conclut-elle après s'être assurée deux fois auprès de la responsable que tout était absolument en ordre. Je pense qu'il est temps que nous prévenions Andromède, à présent. Puisqu'il ne manque rien, m'autoriseriez vous à l'emmener avec moi dès aujourd'hui ? Elle aura peut-être besoin de temps pour s'y habituer, mais si elle est prête je peux déjà la prendre avec moi.
-Bien entendu, répondit la responsable, légèrement surprise. Nous avons fait comme vous nous l'aviez demandé, nous ne lui avions rien dit.
-Je ne voulais pas lui donner de faux espoirs, répondit Thalattée d'une voix douce. Les procédures d'adoption de nos jours sont tellement compliquées... je viens de loin et je suis assez occupée comme je vous l'ai expliqué, et il est difficile pour moi de me libérer. Si jamais les papiers n'avaient pas été en ordre aujourd'hui, ça m'aurait brisé le cœur de la faire attendre pour ne pouvoir revenir que bien plus tard.
-C'est vrai, abonda dans son sens la responsable. Plusieurs couples qui nous avaient contacté n'ont finalement pas pu obtenir d'autorisation à temps alors que les démarches étaient déjà entamées. Je comprends votre sentiment. Vous allez enfin pouvoir vous rencontrer alors. Suivez-moi, je vais vous conduire.
Thalattée lui sourit en retour. Elle avait demandé à avoir le registre des enfants pour commencer à penser à celui qu'elle allait adopter, prétextant qu'elle ne pouvait pas facilement se déplacer, afin de n'avoir à se rendre à l'orphelinat qu'une seule fois. Les Esprits avaient désigné Andromède, et elle avait prétendu que Janus et elle avaient eu le coup de foudre. Elle avait alors commencé les procédures – sans jamais avoir rencontré la jeune Eveillée.
Elle suivit la responsable dans les couloirs. Des regards d'enfants intrigués ou intimidés se posaient sur elle. La femme ouvrit finalement une porte.
-Andromède ? Il y a quelqu'un pour toi.
Mais elle ne reçut aucune réponse.
La pièce était vide. Celui qui s'appelait Max arriva alors en courant vers elle et s'exclama, essoufflé.
-Je l'ai perdue de vue au réfectoire ! Elle est encore partie dans la forêt... la fenêtre du réfectoire est ouverte...
C'est alors que Thalattée oublia quelque chose.
Ce n'était presque rien. Elle ne souvenait que de l'important : il fallait récupérer Andromède.
Elle demanda à Max de l'emmener à la fenêtre en question, qu'elle trouva ouverte comme il l'avait dit.
-Je vais la chercher, annonça-t-elle.
Sa voix était douce mais n'admettait aucune réplique.
Et Thalattée passa par la fenêtre.
Poussés par une sorte de mysticisme impérieux, les adultes de l'orphelinat détournèrent leur attention de la jeune femme qui s'était élancée dans la forêt, sa natte blanche flottant derrière elle. Max eut juste le temps d’apercevoir, laissés dans l'herbe derrière elle, un chapeau de paille et deux sandales en plastique orange, avant de retourner calmer les autres enfants.
Janus court.
Rythme lent et profond de respiration. Terre souple sous ses pas puissants.
Janus est calme.
La petite Serpent cherchait la Terre. C'était normal.
Janus écoute les arbres et le sol.
Il cherche Andromède.
Janus va la ramener chez elle : dans la Nature. Et en faire une guerrière de la Terre.
Le plan de Thalattée aurait semblé à quiconque bien trop couvert de griffonnages – il était toujours lisible, très lisible, car l'écriture de Thalattée était nette et droite. Mais il y avait beaucoup trop d'indications dessus, même de très évidentes.
Thalattée avait un plan pour chacun de ses déplacements. Et rien n'y était écrit au hasard : Thalattée palliait toute éventualité d'oubli de sa part.
Elle se concentrait autant qu'elle le pouvait sur son objectif.
Odessa avait été très claire :
-Ne pense à rien d'autre tant que tu n'auras pas déposé et signé ces papiers avec l'orphelinat ! On ne veut pas d'enlèvement ou de disparition sur le dos ! Et surtout, surtout, par les flammes, n'enlève pas tes chaussures !
Thalattée n'était pas à l'aise dans les chaussures en plastique orange vif qu'Odessa lui avait mis de force. Seulement, elle avait bravé son aversion naturelle pour l'eau pour aller les lui mettre alors qu'elle nageait. Et elle avait tellement insisté pour qu'elle les garde que Thalattée ne les enlèverait à aucun prix.
Odessa était une amie. Elle devait avoir une excellente raison que sa condition particulière ne lui avait pas permis de se souvenir. Et Thalattée avait confiance en elle pour lui rappeler ce qu'elle oubliait. Elle avait donc écrit partout, scrupuleusement, sur son carnet, son plan, et même ses bras, l'adresse de l'orphelinat, sa mission, et cet ordre de ne pas retirer ses chaussures.
Vêtue d'une simple tunique de coton et d'un pantalon de toile crème, ses cornes torsadées dissimulées sous un large chapeau de paille qui laissait tomber sa natte blanche dans son dos, elle avançait dans une rue de la ville, pressée d'accomplir sa mission et de quitter ce lieu oppressant tout de bitume et de béton.
Il était impératif que Thalattée se présente aussi normalement que possible (bien que chaussée de sandales en plastique orange, mais bon, elle avait l'habitude d'aller pieds nus ou en espadrilles qu'elle quittait sans y penser au poindre cours d'eau, alors cela valait sans doute mieux) pour régler cette histoire de papiers. Et après, ce serait à Janus de prendre le relais, puisque c'était à lui que le Serpent s'était adressé. Mais Thalattée savait ce que peut-être le Serpent ignorait – il était trop grand pour se soucier des tracas administratifs humains : il était impossible de confier à Janus une tâche impliquant de faire signer un papier.
L'orphelinat était un bâtiment austère et fonctionnel dans lequel Thalattée pénétra sans même le regarder. Elle avait pris rendez-vous avec un responsable et s'était arrangée pour régler tous les détails de façon à n'avoir à venir en personne qu'une seule fois. Obtenir les nombreuses justifications et papiers administratifs n'avait pas été une partie de plaisir, surtout pour elle qui vivait en marge de la société, mis avec l'aide des autres formateurs et des Esprits tout c'était bien passé jusque là. Elle et Janus seraient donc bientôt officiellement, aux yeux de la loi, les parents d'une petite fille.
Bien entendu, elle serait surtout la fille de la Terre et de la Nature, dans la grande famille des Eveillés choisis par les Esprits, Janus sera son formateur, et elle ne vivrait sans doutes pas avec eux. Thalattée ne se considérait pas comme une figure maternelle, mais elle se sentait tout de même responsable d'elle et elle voulait que tout se passe pour le mieux.
Un jeune homme qui se présenta comme Max, avec un regard gentil, l'accompagna dans le bureau d'une responsable à l'allure revêche et sévère. Thalattée fit de son mieux pour paraître être la mère adoptive idéale, responsable, active et parfaitement organisée. La partie administrative se déroula sans problèmes – Thalattée avait tout prévu. Elle avait même prévu qu'il y a des problèmes qu'elle n'avait pas prévus et s'était préparée en conséquence. Mais tout se passa parfaitement bien. Presque trop bien pour une opération administrative en réalité.
-Bien, conclut-elle après s'être assurée deux fois auprès de la responsable que tout était absolument en ordre. Je pense qu'il est temps que nous prévenions Andromède, à présent. Puisqu'il ne manque rien, m'autoriseriez vous à l'emmener avec moi dès aujourd'hui ? Elle aura peut-être besoin de temps pour s'y habituer, mais si elle est prête je peux déjà la prendre avec moi.
-Bien entendu, répondit la responsable, légèrement surprise. Nous avons fait comme vous nous l'aviez demandé, nous ne lui avions rien dit.
-Je ne voulais pas lui donner de faux espoirs, répondit Thalattée d'une voix douce. Les procédures d'adoption de nos jours sont tellement compliquées... je viens de loin et je suis assez occupée comme je vous l'ai expliqué, et il est difficile pour moi de me libérer. Si jamais les papiers n'avaient pas été en ordre aujourd'hui, ça m'aurait brisé le cœur de la faire attendre pour ne pouvoir revenir que bien plus tard.
-C'est vrai, abonda dans son sens la responsable. Plusieurs couples qui nous avaient contacté n'ont finalement pas pu obtenir d'autorisation à temps alors que les démarches étaient déjà entamées. Je comprends votre sentiment. Vous allez enfin pouvoir vous rencontrer alors. Suivez-moi, je vais vous conduire.
Thalattée lui sourit en retour. Elle avait demandé à avoir le registre des enfants pour commencer à penser à celui qu'elle allait adopter, prétextant qu'elle ne pouvait pas facilement se déplacer, afin de n'avoir à se rendre à l'orphelinat qu'une seule fois. Les Esprits avaient désigné Andromède, et elle avait prétendu que Janus et elle avaient eu le coup de foudre. Elle avait alors commencé les procédures – sans jamais avoir rencontré la jeune Eveillée.
Elle suivit la responsable dans les couloirs. Des regards d'enfants intrigués ou intimidés se posaient sur elle. La femme ouvrit finalement une porte.
-Andromède ? Il y a quelqu'un pour toi.
Mais elle ne reçut aucune réponse.
La pièce était vide. Celui qui s'appelait Max arriva alors en courant vers elle et s'exclama, essoufflé.
-Je l'ai perdue de vue au réfectoire ! Elle est encore partie dans la forêt... la fenêtre du réfectoire est ouverte...
C'est alors que Thalattée oublia quelque chose.
Ce n'était presque rien. Elle ne souvenait que de l'important : il fallait récupérer Andromède.
Elle demanda à Max de l'emmener à la fenêtre en question, qu'elle trouva ouverte comme il l'avait dit.
-Je vais la chercher, annonça-t-elle.
Sa voix était douce mais n'admettait aucune réplique.
Et Thalattée passa par la fenêtre.
Poussés par une sorte de mysticisme impérieux, les adultes de l'orphelinat détournèrent leur attention de la jeune femme qui s'était élancée dans la forêt, sa natte blanche flottant derrière elle. Max eut juste le temps d’apercevoir, laissés dans l'herbe derrière elle, un chapeau de paille et deux sandales en plastique orange, avant de retourner calmer les autres enfants.
Janus court.
Rythme lent et profond de respiration. Terre souple sous ses pas puissants.
Janus est calme.
La petite Serpent cherchait la Terre. C'était normal.
Janus écoute les arbres et le sol.
Il cherche Andromède.
Janus va la ramener chez elle : dans la Nature. Et en faire une guerrière de la Terre.