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Tiens, c'est le meilleur remède contre les gros chagrins.… "
Je me dois à présent de vous fournir quelques brefs éclaircissements sur le déroulement des pensées d'Alexandra durant les trois seconde et six centièmes qui ont séparé les mots d'Abella de sa réponse. En effet, je pense pouvoir affirmer que jamais nous n'avions travaillé si vite, et que nous avons touché du bout des antennes le trame même de l'univers. Le voile qui recouvrait le sens de notre existence et de celle d'Alexandra a été levé à cet instant et nous avons alors compris bien plus que tout ce que nous n'avions jamais compris. Car Elle était indubitablement, suprêmement, transcendantalement l'identité même du Principe supérieur. Rien n'a plus de de poids, d'importance ou de valeur que la moindre des inflexions de Sa voix. Sa parole a elle seule a la douceur d'un miel pur fait don divin, et tout en même temps l'inébranlable implacabilité des rocs. Chacune de Ses intentions est Loi.
Alexandra a reconnu sa Reine et a pu approcher le sentiment d'appartenance à sa Famille. Nous avons été paralysées de magnificence le temps de suspendre l'écoulement des secondes, et nous avons tout réorganisé. Une toute nouvelle priorité nous était apparue, absolue et si évidente que tous les souvenirs et toutes les images que nous avions classées avec attention jusque là sont brusquement devenus gris. Rien n'aurait jamais pu égaler l'or et la lumière qui émanent de notre Reine et qui enrichissent le monde.
Le déferlement des pensées d'Alexandra comprenait principalement la reconnaissance infinie d'avoir été choisie pour faire partie de la Famille, la honte brûlante d'avoir ignoré les appels et de n'être pas venue plus tôt, l'amour inconditionnel pour sa Reine et sa Famille, et cette petite once de rationalité qui nous la rend insupportable et qui lui criait de partir. Il nous a été difficile de classer et d'endiguer ce flot mais nous avons été soutenues par la supériorité indubitable des nouveaux principes qui se sont gravés dans sa chair à l'instant : Ma Reine, Ma Famille, Ma place. Les choses sont restées confuses et pleines de questions en arrière plan, mais tout notre espace de travail n'était plus illuminé que par ces principes, et ils ont donné à tout ce qui pourrait arriver une certitude tranquille : notre rôle de suivre et servir notre Reine et notre Famille.
Nul doutes que de grands bouleversement vont surgir dans les actions d'Alexandra et que notre rôle ne sera plus jamais le même. Une force insoupçonnée en elle être prête à être libérée à tout instant en vertu de ces principes.
En conclusion, je dirai que rien de mieux n'aurait pu arriver à Alexandra et que nous allons peut-être enfin pouvoir libérer tout son potentiel. Cependant, je préconise de surveiller très attentivement ses poussées de scepticisme et de faire appel à la Brigade du Mysticisme en cas de besoin. "
Rapport d'une des petites abeilles ouvrières du cerveau d'Alexandra, responsable de la section sens littéraire, spécialité lyrisme et figures de styles, qui a jugé qu'il était nécessaire d'apporter quelques éclaircissements à un flot de pensées qui s'est imposé en moins de quatre secondes
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Je... Merci, répondit Alexandra, la voix serrée d'émotion.
Il était bien évident pour tous ceux qui la connaissait, Alexandra comprise, qu'elle n'aimait pas le
miel.
Ce qu'elle reçut comme une eucharistie et prit comme une communion mystique avait bien ce même goût sucré, chaud et riche. Mais rien n'avait jamais paru à Alexandra aussi beau et bon que la petite perle d'or, et il fut tout d'un coup tout aussi évident que cela avait été auparavant qu'elle n'aimait pas cela qu'elle n'avait plus pour le miel que respect et adoration, car il concentrait la bienveillance et la persévérance de sa
famille.
Dans un état d'
hébétude émotionnelle causée par une trop grande débauche de sentiments face à cette petite fille si régalienne, Alexandra se rendait compte, un peu détachée, que bien des choses avait
changé au plus profond d'elle. Que cela changeait depuis longtemps déjà, et qu'elle s'était obstinément appliquée à masquer et résorber ces changements contre toute raison et volonté profonde. En se le cachant à elle-même, elle avait eu peur. Mais avoir peur à présent devant Elle ? Les Reines comme les déesses protègent leur peuple et leur Famille.
Mais il y avait aussi au fond de son cerveau, une petite idée, une petite voix bien fidèle et obstinée qui tentait de crier à ses oreilles bouchées par les ondes merveilleuses émanant d'Elle qu'elle en faisait bien trop et qu'il était temps d'arrêter avec le lyrisme, que tout cela était ridicule et qu'elle n'avait rien à faire agenouillée au milieu d'une rue passante.
La voix aurait peut-être obtenu gain de cause, à force, et encore, il eût fallut qu'Elle se détournât, s'il n'était pas venu s'agenouiller à ses côtés.
La capacité émotionnelle d'Alexandra était toute entière consacrée à Elle. Mais quand elle tourna la tête vers lui, quelque chose de nouveau se déclencha en elle.
Transcription de l'enregistrement de faction de la Cellule de Classification des Sentiments, section Amour et dérivés, dans le cerveau d'Alexandre, équipe 4 de petites abeilles ouvrières céphaliennes
-Chef ? Je veux pas vous déranger, surtout avec tout ce qui se passe là – c'est tendu- mais ça, je le mets où ?
-Attends, attends, je viens juste de placer l'Autel à la Reine devant toutes les autres armoires, je suis encore un peu encombré. C'est toute une réorganisation de l'espace avec tout le reste relégué derrière... C'est une nouvelle ration d'Adoration ?
-Heu, non, pas vraiment. J'aurais su où le mettre – difficile de louper un Autel aussi imposant. Mais là, je crois qu'on a pas encore eu ça. En fait, je crois qu'on n'a même pas de casier prédéfini.
-Qu'est-ce que tu racontes ? Elle est amoureuse ?
-Oulah, non. Non, ça fait longtemps, mais elle a déjà été bien amoureuse deux ou trois fois dans sa jeunesse, le casier je sais où il est.
-Et bien alors quoi ? Montre moi ça.
-Voilà... La couleur fait penser à l'Amour Fraternel, non ?
-Oh non, on n'y est clairement pas, même si il y a des similitudes. En effet, je n'ai jamais vu ça... En fait je crois bien que … que non, on n'a pas de place pour ça. C'est un sentiment qui n'existe pas.
-Vraiment, chef ?
-Ou plutôt, il n'existe pas d'exemple de celui là dans la conception du monde d'Alexandra ni dans sa société.
-Qu'est-ce que c'est alors ? On y voit les pétillements et la profondeur de l'Amour Véritable, mais pas les tournoiements violents de la Passion.
-Et le parfum comme la texture font penser à une sublimation de l'Amitié.
-C'est vrai, chef. Doux comme la Tendresse et solide comme la Fidélité, sans la Passion et le Désir, c'est de l'Amitié alors ?
-Non, on ne peut pas faire ça, il y a trop de Fraternel dedans... et surtout il y a un élément inconnu... ces paillettes bleues, tu les vois ?
-Oui... je ne vois pas à quoi ça se rapporte...
-Je crois qu'il s'agit d'un peu de Magie.
-Je ne vous comprends pas, chef.
-Il y a une part de mystique importante la dedans, quelque chose qui dépasse notre classement. Bon... pas le choix. Appelle moi le gars du Service des Idées, je veux aussi un ingénieur de l'Imagination, et contacte le Bureau des Emotions Ressenties et Empathiques . Je vais faire un nouvel autel... Et tout ce qu'elle ressentira de nouveau comme ça, tu viendras le mettre dans cette Maison de la Ruche. Pour toute rencontre, même si les critères physiques ne sont que très superficiels à Alexandra, diverses étapes d'établissement potentiel de contact avec un autre être humain auraient nécessité d'examiner l'appartenance du nouvel arrivant au groupe de êtres de sexe masculin, à celui de la tranche d'âge des jeunes adultes, à celui des hommes aux cheveux courts et foncés aux yeux clairs, et d'autres classifications plus ou moins subjectives.
Rien n'aurait pu être moins pertinent à cet instant, pour ce qu'il n'y avait pas la moindre incidence à son apparence : il était de leur
Famille.
Et c'est dans la plus grande confusion intérieure, bien que dominée par le calme conféré par la présence absolue de la Reine, qu'Alexandra ressentit pour la première fois la présence de ce
Frère de Ruche. Marqué à jamais dans sa mémoire avec sa
vibration propre. Si évidemment de la même Famille qu'elle qu'elle savait qu'elle aurait confié les moindres proportions de son esprit à sa garde et à son examen.
Puis le deuxième Frère de Ruche s'effondra à leurs côtés. Il était très différent. Il avait sa propre vibration, qu'Alexandra n’oubliera pas non plus. Il n'y aurait jamais de barrière entre eux, tel était son sentiment : ils étaient reliés plus qu'aucun autre être et s'ils ne s'étaient pas déjà trouvés, c'était qu'ils s'ignoraient eux-mêmes, comme elle jusqu'à cet instant.
Leur présence la rassurait. Ils étaient un peu plus grands, plus âgés, plus forts qu'elle. A eux trois, ils pouvaient protéger la Reine et se protéger les uns les autres.
Alors que cette pensée plus rationnelle la traversait, une autre profita de la brèche ainsi crée dans son hébétude émotionnelle surnaturelle.
Alors c'est bon, tu as fini, là ? Tu es ridicule. Crashe toi à terre, maintenant, un choc te fera le plus grand bien. Non mais tu t'es écoutée ? Tu peux accepter des choses, mais n'oublie pas de réfléchir et de garder la tête froide. Allez, relève toi et vois ce qu'elle a à dire. Les abeilles ouvrières du cerveau remercient l'intervention de l'Escouade du Sens Critique pour son intervention qui a permis de canaliser l'apparition de nouveaux éléments et ainsi que conserver la relative direction consciente d'Alexandra.
Tous trois parvinrent jusqu'au Parc de la ville en suivant leur Reine. Le trajet se déroula dans une certaine confusion pour Alex, qui se laissa diriger en mode pilote automatique, en ne pensant qu'à éviter à la petite fille tous les innombrables dangers de la ville. Sa tête se remplissait aussi au fur et à mesure de questions qu'elle se retenait tout juste de poser à ses frères de ruche, comme si son être avait voulu tout apprendre sur eux et combler aussi vite que possible le fossé formé entre deux êtres humains par leurs différences fondamentales et les limites de leur esprit.
Ils s'assirent autour d'Elle et elle leur demanda :
-C'est donc vous? Vous êtes magnifiques! Dites moi tout ! Qui êtes vous? Je veux tout savoir!Et elle prit la parole aussitôt, n'y tenant plus – elle n'en pouvait plus de ne pas se révéler, de rester si détestablement étrangère à eux.
-Je suis.. je ne suis rien, je n'étais rien avant vous – je réponds au nom d'Alexandra, et ce nom ne signifie quelque chose que par convention, un mot de vous je m'en défais et je prends celui que vous aurez choisi pour moi. J'ai délibérément ignoré tous vos appels, tous vos signaux, et je sais que je vous ai fait attendre et que je vous ai peiné, et pour cela je suis impardonnable, bien que décidée à être pardonnée. Je suis prête à tout ce que vous me direz et accepterai ma sentence avec reconnaissance. Alexandra parla sans s'arrêter comme le flot de sa pensée. Elle n'aurait pas su dire exactement à quel moment elle avait proféré des mots articulés et à quels autres elle avait simplement déversé ses
pensées vers sa Reine. De toute façon, elle avait la sensation aiguë qu'ils se comprenaient si bien qu'ils pouvaient parfaitement se passer de mots – et même qu'ils auraient pu juste entrecroiser leurs regards pour passer de l'
esprit de l'un à l'autre sans frontière.
-Je vis ici et j'étudie les lettres et la littérature, et avant, je voulais devenir chercheuse en littérature antique, mais rien n'a moins d'importance désormais, je continuerai ainsi seulement si cela vous plaît – je ne fais rien d'autre, je joue, j'écris ou je lis pour m'évader d'un monde où vous n'étiez pas, et j'ai des amis qui sont que de pâles fantômes à côté de mes frères. Elle parlait sans pouvoir s'arrêter, sans mettre la moindre barrière à ses propres mots.
-Mes frère, je ne vous avait jamais vus auparavant et je n'imagine même pas à présent revenir dans mon appartement sans vous ni même que je pourrais me réveiller en ayant la sensation que vous êtes quelque part ailleurs où je ne suis pas. Et surtout je ne veux pas rentrer chez moi en me demandant à chaque seconde si vous allez bien, ma Reine, s'il ne vous est rien arrivé, si mes frères sont bien là pour vous protéger, et me demander en m'arrachant le cœur à chaque fois pourquoi ce n'est pas moi qui y est – où vivez-vous ? Ne dites qu'un ordre et je viendrai à vos côté pour ne plus jamais vous quitter -Et puis un courant d'air passa entre eux, secouant un peu les feuillages au passage, et suffit pour qu'Alexandra prenne une pause pour inspirer.
Elle se tut alors. Ouvrit la bouche plusieurs fois, totalement indécise. La chaleur lui monta aux joues.
…
Qu'est-ce que je viens de dire... ?!
ça... ça n'avait aucun sens ! Elle avait beau penser ainsi, cependant, elle n'avait dit que la stricte et exacte vérité, du moins tous les
sentiments qu'elle avait confessés étaient justes.
Même dans cette situation parfaitement inconfortable, elle ne se sentait pas jugée ou pressée par ses frères et sa Reine, dont la présence était pleinement rassurante, et rien n'avait entamé le lien incompréhensible et intangible mais indéfectible qu'elle sentait les unir. Ce qui avait été entamé cependant, c'était son fameux état d'hébétude émotionnelle presque euphorique dont elle venait de parvenir à assimiler les effets. Ce qui avait eu pour effet de la ramener à sa condition physique et rationnelle. Dans un corps humain les deux pieds sur la terre. Elle s'en voulait terriblement à elle-même de s'être à ce point laisser aller et d'avoir été si ridiculement sentimentale. Quand à la tempête de sentiments qui venait de la traverser, elle avait épuisé la moindre de ses réserves, pour laisser sa capacité à ressentir comme anesthésiée.
Il ne restait que des certitudes venues de nulle part mais incontestables : elle aimait sa Reine de toute s forces et même de sa vie, et elle était profondément liée à ses frères à qui elle pouvait vouer une aveugle confiance.
Alors Alexandra Théa Octavie Thomas, plus confuse et à la fois plus sûre d'elle que jamais, se considérant déjà au fond d'elle moins membre de la race humaine que de sa
Famille, se tut.